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« La nature en ville est un paradoxe, notre travail est de le résoudre »

La ville-nature est-elle une utopie ? Pour Laure Planchais, paysagiste DPLG, tout est affaire d’équilibre : réconcilier les lois de l’homme et celles de la nature exige une quête permanente d’harmonie. Une certitude ? Cette alliance est bénéfique pour tout le vivant.

Raconter la ville idéale à travers le regard d’acteurs qui contribuent déjà à la réinventer, c’est l’objet de nos entretiens « Nature de Ville ». Biodiversité, urbanisme, mixité : nous donnons la parole à celles et ceux qui pensent ou conçoivent la ville de demain dès aujourd’hui.

La nature en ville est aujourd’hui un impératif incontournable dans la mise en œuvre de l’aménagement urbain. Pourquoi y créer des espaces naturels ? Quels sont les rôles de la nature en ville ?

Ces questions sont au cœur du travail de Laure Planchais, paysagiste diplômée par le gouvernement (DPLG), qui aime à rappeler qu’il n’y a « de paysages que parce qu’il y a des hommes qui prennent plaisir à observer, façonner et idéaliser les territoires qu’ils habitent ». Nous avons pu échanger avec elle sur ses convictions sur la place de la nature en ville, et la manière de l’y réintroduire de manière durable.

Quelles sont vos convictions sur la réintroduction de la nature en ville ?

Pour vous répondre, revenons aux bases !

Développé au 18e siècle, le concept philosophique de nature englobe des choses extrêmement différentes. Pour faire simple, les « phénomènes naturels » correspondent à ce qui est indépendant de l’homme : animaux ou végétaux qui vivent et poussent sans avoir besoin de lui. La « nature en ville » est donc un paradoxe : la ville est un territoire qui s’est justement affranchi des dynamiques naturelles. En ce sens, est-ce que réintroduire la nature en ville ne va pas contre les penchants naturels de l’être humain ?

Malgré tout, des dynamiques naturelles s’opèrent bel et bien en ville, et sont indépendantes de notre action, comme nos amis les pigeons ou toutes ces plantes très résistantes qui poussent envers et contre tout, détruisent les murs, les chaussées, les trottoirs, etc. Tout cela, ce sont des dynamiques naturelles, et il faut bien le dire : elles ne sont pas forcément très bien acceptées par les urbains !

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Et je vais ainsi pouvoir répondre à votre question : tout mon travail de paysagiste en ville consiste à opérer cette réconciliation. Ma conviction, c’est que mon métier est de réussir à canaliser les phénomènes naturels pour qu’ils se mettent en place de manière maîtrisée, et à des endroits prévus par l’homme. Être paysagiste, c’est résoudre ce paradoxe de la nature en ville, influer sur ces grands phénomènes pour créer une harmonie… et c’est délicat !

N’oublions pas qu’il peut y avoir certains antagonismes, voire hostilité entre la nature et l’humain, par exemple les plantes très allergènes ou les animaux qui colportent des maladies. Et quand on parle de nature, ce n’est pas n’importe quelle nature : si vous laissez un lion ou un léopard dans Paris, ça ne va pas le faire (rire) ! C’est une nature choisie, et la question qui se pose à moi est la suivante : comment accueillir des végétaux et des animaux compatibles avec nous, et comment faire un bout de chemin ensemble ?

C’est un vrai travail d’acclimatation mutuelle, et j’insiste sur cette réciprocité : tout le monde trouve que les arbres, c’est super, mais dès que vient l’automne et que les feuilles tombent, comme par hasard, certains trouvent que ça salit, que ça glisse et que c’est sale. L’être humain aspire à la nature, mais il n’est pas exempt de contradiction. Accepter le vivant, c’est comme quand on a des enfants : le vivant, ça naît, ça croît, ça boit et parfois… ça ne range pas sa chambre (rire) !

Pourquoi est-ce un sujet si prégnant aujourd’hui ?

Ce qui est intéressant, c’est que l’engouement pour la nature est un phénomène cyclique dans l’histoire de l’humanité. Il y a des périodes où l’on cherche plutôt à s’en affranchir, et des périodes où l’on essaye de renouer le contact. Après la Seconde Guerre mondiale, les modes de construction de nos sociétés se sont plongés dans la technologie, et le regard des hommes s’est même tourné vers d’autres planètes quitte parfois à s’affranchir des contraintes naturelles.

Au fil des années, nous avons perdu ce contact avec la nature et, du haut de mes 50 ans, je fais partie de la dernière génération où tout le monde avait encore une partie de ses grands-parents en contact avec le monde agricole. Cette perte de contact est profonde et je pense que de nombreux Français la ressentent.

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L’autre raison de cette attente de nature en ville vient, tout simplement, de la prise de conscience des impacts du réchauffement planétaire et de la grande responsabilité de l’homme, des dommages faits à notre planète et de la menace que cela fait peser même sur notre survie en tant qu’espèce.

Quel rôle la nature peut-elle jouer pour le bien-être des urbains et de la ville dans son ensemble ?

Pour moi, il y a deux aspects. Le premier relève de la dimension sanitaire : de manière pragmatique, les effets bénéfiques de la nature sur l’humain sont nombreux, et aussi concrets que la création d’îlots de fraîcheur dans un contexte de réchauffement constant, la capacité des végétaux à filtrer les particules polluantes de l’atmosphère, ou le rôle des parcs et jardins dans la pratique du sport et la sociabilité en ville.

Mais l’on oublie trop souvent la dimension symbolique, qui est importante à mes yeux : c’est une façon pour l’humain de se raccrocher à ces grands phénomènes du vivant et de s’ancrer dans une géographie naturelle. Si je prends en exemple mon cas personnel : j’ai la chance d’habiter sur les bords de la Seine, je n’ai jamais vu autant de gens se promener et la prendre en photo que quand elle a été en crue en 2016, parce que c’était un vrai phénomène naturel. La Seine redevenait vivante !

Cette dimension symbolique, nous l’observons même sur les arbres : l’arbre plonge ses racines au tréfonds de la terre et il est en contact avec le ciel. C’est un peu magique, si vous voulez mon avis ! Sans oublier la dimension esthétique, les fleurs, les couleurs, etc. Cette beauté a un impact sur la plupart d’entre nous, et sur nos imaginaires.

Est-ce que le paysagisme est, en ce sens, une forme d’art ?

Bien sûr, il y a une dimension artistique, mais je mettrais davantage en avant sa dimension sociale. Je suis maladivement optimiste : j’aime œuvrer à mon niveau pour le bien de l’humanité. Toutes proportions gardées, j’envisage mon métier dans sa dimension positive : comment créer des espaces extérieurs dans lesquels les êtres humains sont heureux d’habiter ? C’est ma façon à moi, et à de nombreux paysagistes, de contribuer à notre société contemporaine.

On parle souvent des services que la nature peut rendre à la ville, mais n’est-ce pas au détriment du contraire : ce que la ville peut (et doit) faire pour la nature ?

En vérité, qu’est-ce que la ville peut faire pour la nature ? Se fixer des limites, déjà ! La ville doit savoir s’arrêter, et l’on doit pouvoir distinguer à l’œil nu sa frontière avec la nature. Nous devons progresser vers une ville qui fait de moins en moins obstacle aux phénomènes naturels, et pour cela, lutter contre l’étalement urbain et l’artificialisation des sols. Mais il faut être pragmatique car s’opposer de manière frontale, ce n’est pas le plus efficace. Nous devons au contraire travailler à nouer des alliances intelligentes entre la nature et l’humain, qui profite aux deux parties. C’est ainsi que la ville pourra, de manière durable, faire quelque chose pour la nature.

Comment concilier la conservation d’un patrimoine naturel et la construction ?

Il faut que cela fasse partie des engagements d’un projet dès le départ !

S’engager à préserver au maximum la pleine terre, les arbres, ainsi que certaines dynamiques naturelles spécifiques de biodiversité urbaine, comme des animaux particuliers. Mais préserver ne suffit pas ! Si c’est pour être comme dans un zoo, ça n’a pas d’intérêt… L’objectif, c’est que ce patrimoine naturel puisse se redéployer de manière intelligente et suivre son chemin. Si l’on observe qu’une espèce d’oiseau a pris l’habitude de venir nicher dans un arbre sur le terrain, nous devons encourager cette dynamique pour enrichir ce patrimoine naturel.

 

Ensuite, c’est un vrai travail collectif. Est-ce que le promoteur veut relever ce challenge ? Est-ce que les architectes ont compris le message et sont prêts à y participer ? Prenons un exemple classique sur le cas de la valorisation de l’habitat pour les oiseaux : certains oiseaux « cavernicoles » comme les hirondelles ne nichent pas dans les arbres, mais dans les parois de grottes ou les bords de toitures. Avec l’écologue, mon travail est de signaler à l’architecte qu’il serait bon de prévoir un petit coin réservé pour les hirondelles sur le bâtiment. Certains le font, d’autres sont réticents. Il faut trouver des architectes qui veulent faire des habitats pour tout le vivant, animaux compris !

Sur Seconde Nature, l’écologue nous a signalé la présence d’une espèce protégée, le martinet noir. Nous avons donc réalisé un travail spécifique avec les architectes au niveau des interfaces pour créer des perchoirs. Les murets vont avoir des anfractuosités pour favoriser l’accueil de ces faunes précieuses Cela étant, la nature trouve toujours un chemin et l’on a des centaines de cas d’oiseaux qui décident de nicher à des endroits inattendus, comme une colonie d’hirondelles qui élit domicile dans le hall d’une gare. On en revient à ce que je disais sur les dynamiques naturelles, il vaut mieux les canaliser ! 

Quels sont les dispositifs les plus efficaces pour inscrire la nature en ville de manière durable ?

La pleine terre avant tout ! Mais surtout pas sous un balcon ou à l’abri de la pluie, car sinon c’est inutile : la nature a besoin d‘eau.

L’autre règle capitale, ce n’est pas forcément de systématiquement planter des arbres comme on l’entend parfois, mais vraiment de planter les bons végétaux aux bons endroits. En ce sens, il faut veiller à planter plusieurs strates de végétaux : une strate herbacée, une strate arbustive et une strate arborée, ce qui vous permet de multiplier les chances d’avoir des animaux qui vont venir parce qu’ils y trouveront le gîte et le couvert. C’est ça, accueillir le vivant !

Non seulement il faut lui donner la possibilité de dormir, mais aussi de manger, d’être à l’abri. Cela ressemble à la manière de concevoir un appartement : on doit répondre aux besoins liés à tous les moments du cycle de la vie. En fonction des plantes que je choisis, différentes espèces peuvent être attirées et ainsi déclencher des processus de chaîne alimentaire différents. Par exemple, si je mets des plantes qui fleurissent et offrent beaucoup de pollen, je sais que ça va attirer des insectes qui, eux-mêmes, vont attirer des oiseaux qui eux-mêmes vont peut-être attirer d’autres espèces… en fait, nous reconstitutions des écosystèmes !

Sur la dimension faunistique, je travaille avec des écologues qui m’indiquent les espèces présentes dans la zone, et ce qu’elles recherchent en particulier, ce qui peut donc avoir des conséquences sur le choix de la palette végétale, ou même sur des dispositifs inertes : par exemple des systèmes de pierriers pour développer la faune de petits reptiles en tous genres, notamment en pays méditerranéen comme à Marseille. Une autre manière d’offrir le gîte à une espèce protégée. Sur ce point, il est important de pouvoir assurer un suivi, comme le font des labels comme Biodivercity.

Comment voyez-vous l’avenir de votre métier dans ce grand élan qu’il y a aujourd’hui autour de la ville durable ?

Je fais partie des générations qui ont vu la montée en puissance de ma profession. Quand j’étais à l’école du paysage de Versailles, il n’y avait qu’une seule école publique en France. Maintenant, il y en a au moins cinq ou six. À l’époque, on formait 30 personnes par an, maintenant, on en forme 300. La génération qui précède la mienne était celle des pionniers qui ont créé le métier sous son appellation officielle, et créé la première école. En ce temps, il n’y avait pas de commande ou très peu, et un immense travail de pédagogie a été fait sur notre métier depuis.

Maintenant, le paysagisme est rentré dans les métiers connus dans le cercle des professionnels de l’aménagement, que ce soit par les élus, les architectes, les urbanistes, les aménageurs et, bien sûr, les promoteurs. Mon expérience avec OGIC le montre, c’est un promoteur qui travaille très étroitement avec des paysagistes.

Pour l’avenir, je pense que ma profession entrera de plus en plus dans des dimensions intégrées. Pour ma part, je suis à mon compte, j’ai ma structure, mais on voit de plus en plus des paysagistes qui sont intégrés dans des structures publiques, parapubliques, voire chez les promoteurs !

Comment imaginez-vous la ville idéale ?

En paysage, notre approche est très contextuelle. Contrairement à l’urbanisme en architecture, nous nous projetons peu dans l’utopie et dans les modèles idéaux, mais toujours en adaptation à un patrimoine naturel. Chercher à trouver le modèle idéal qui va plaire à tout le monde, j’ai tendance à penser que c’est une mauvaise piste !

Alors je prendrais du recul pour vous répondre, et je dirais qu’une ville idéale, c’est une ville qu’on a envie de prendre en photo. Souvent, quand vous avez des amis ou de la famille qui visite votre commune, vous les emmenez dans le centre historique où il y a beaucoup de magnifiques bâtiments anciens. Pour moi, l’objectif de la ville qu’on construit aujourd’hui, c’est de vous donner envie d’en prendre des photos et de les partager. C’est peut-être étrange, mais je trouve que c’est un bon indicateur.

Un point important, que je souhaite rappeler, c’est qu’une ville idéale est une ville qui sait s’arrêter ! Qui indique clairement ses limites ! C’est très différent des modèles actuels, mais je trouve salutaire de pouvoir sentir ce moment où l’on n’est plus dans la ville, avec une frontière claire. Cette question de la limite est centrale à bien des égards pour notre avenir.