L’artificialisation des sols touche environ 60 000 hectares par an en France. Compacté, enfermé, bétonné, le sol perd alors ses fonctions nourricières et épuratrices. Causé dans un tiers des cas par l’étalement urbain, ce phénomène peut être combattu par une stratégie inverse : la renaturation des sols. Mais comment faire revivre un sol pour le rendre à nouveau fertile et propice à la vie ? Réponse avec Gilles Gallinet, écologue, géologue et directeur d’Hekladonia.
Recréer la nature ? C’est l’objectif ambitieux que se donnent aujourd’hui de nombreux acteurs de la ville durable, notamment dans le contexte du plan de biodiversité et son objectif de Zéro Artificialisation Nette (ZAN). Si balcons, terrasses et toits peuvent très bien accueillir le végétal, il est vital d’en revenir aux fondamentaux : une terre fertile, profonde et vivante, capable de jouer son rôle de machine biologique et physico-chimique, régulatrice et source de vie.
Pour OGIC, promoteur immobilier de centre urbain, cette renaturation des sols est primordiale pour faire renaître la nature dans des espaces très artificialisés, un sol vivant au cœur des villes. Clément Théry, directeur de l’innovation chez OGIC a rencontré Gilles Gallinet, directeur d’Hekladonia, un bureau d’études spécialisé dans la reconquête écologique.
La renaturation des sols, qu’est-ce que c’est ?
Gilles Gallinet. Partons de son opposé : « l’artificialisation des sols ». Artificialiser un sol, c’est l’imperméabiliser, c’est-à-dire le couvrir d’une surface étanche qui empêche la circulation en eau et en matière, entre la surface et le sol. C’est ce qui arrive quand on bétonne le sol pour y implanter un parking, un bâtiment, une route. Je vous fais noter au passage qu’un sol peut être imperméabilisé quand on crée un terrain de sport en plein air. Renaturer, c’est faire le chemin inverse !
Alors renaturer un sol c’est simple : il suffit d’enlever la couche imperméable et de replanter arbres et arbustes, herbes et fleurs. C’est bien ça ?
Non, justement. Si vous ne faites qu’enlever la couche étanche et végétaliser, ce que vous avez planté va mourir ou ne jamais grandir. En fait, ça va prendre 30 à 50 ans avant de retrouver un paysage normal et un sol suffisamment fertile pour faire grandir ce qu’on y plante. Avant cela, c’est comme planter dans du plâtre !
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Pourquoi l’imperméabilisation est-elle si néfaste pour le sol ?
Elle a une conséquence terrible : elle rend le sol durablement « compact ». Ça veut dire qu’il n’y a plus l’espace nécessaire dans le sol pour que les vers activent la création d’humus à base d’argile et d’eau. Et comme il n’y a plus les champignons et bactéries nécessaires non plus, le sol devient inerte et stérile, c’est-à-dire non vivant, sans biomasse, sans insectes, sans vers, sans champignons ou taupes… L’oxygène et l’eau ne rentrent plus. Tous les cycles sont stoppés durablement : sans vie et incapable d’en produire pour 30 ou 50 ans. Il faudra alors procéder à une profonde renaturation des sols.
C’est comme si on ne pouvait pas séparer le sol et la surface, que le sol ne conserve sa fertilité que parce qu’il porte une végétation et vice versa. Ça forme un tout, en équilibre fragile…
Oui, c’est exactement ça. C’est la notion d’écosystème entre sol et surface, de la feuille qui capte le soleil aux racines qui plongent dans le sol, le nourrissent et s’en nourrissent.
Un sol artificialisé, inerte, c’est comme un sol pollué en somme ?
Non, ce sont deux problèmes distincts. Imperméabiliser, cela suffit à tuer un sol ! Mais souvent, on imperméabilise pour porter une activité humaine qui peut être polluante, et là, on accumule les deux difficultés pour le faire revivre…
Si je vous suis bien : renaturer un sol, ce n’est pas seulement enlever la couche imperméable qui le couvre, pas seulement le dépolluer, et pas seulement le replanter. Que faut-il faire de plus ?
Pour réussir la renaturation des sols, il faut les retravailler dans leur épaisseur et leur structure de telle sorte que sol et surface puissent refaire un écosystème vivant, divers, en croissance. On travaille sur une profondeur de un à deux mètres suivant les plantations en surface : si tu plantes des arbres, il faut travailler plutôt sur 1,5 mètre, sinon un peu moins d’un mètre suffit pour la couche arbustive.
Cela signifie qu’on cherche dans un premier temps à créer trois couches de sol qui, à terme, vont en devenir deux, car les deux premières couches vont se mélanger peu à peu pour s’unifier:
— 1re couche : sur 30 cm on apporte de la matière organique (compost, technosol) ;
— 2e couche sur 70 cm, un sol sableux/argileux ;
— 3e couche entre 1 m et 2 m de profondeur, mélange de sols sableux/argileux avec cailloux, graviers et autres minéraux
Les couches 1 et 2 fusionnent en quelques années pour devenir le lieu premier de production de l’humus. Dans cette couche circule l’oxygène. Dans la couche 3 circule et ruisselle l’eau.
C’est tout ?
Parfois on accélère le processus de revitalisation en cultivant la vie au préalable. Par exemple, on prélève de la terre dans les espaces alentours, on y récupère des champignons qu’on fait se reproduire en incubateur avant de les réinjecter dans la couche 1.
On parle alors d’augmentation biologique !
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Et s’il y a des sous-sols (parking ou autre), qu’est-ce qu’on fait de la structure existante ? Il suffit de la remplir de ces 3 couches de sol ?
Non, sinon il y a un effet piscine : quand il pleut, les racines vont baigner dans de l’eau stagnante et en été, ce sera particulièrement sec. Seule la famille des Saules peut se développer là-dedans. Il faut donc percer par endroit cette structure béton, pas besoin de l’enlever complètement.
Renaturer, c’est aussi prendre en compte le circuit de l’eau !
Projet de reconquête écologique en milieu urbain en bord de Loire, à Nantes par Hekladonia.
Quel est le rapport entre renaturation des sols et biodiversité ?
Une bonne partie de la biomasse, donc du vivant, se trouve dans le sol et pas seulement sur sa surface. Lui redonner vie, c’est donc recréer massivement de la biomasse, toutes choses égales par ailleurs. Ajoutons que sans la vie dans sol, celle qui se trouve à la surface ne peut se développer. Pas de sol vivant, pas de réelle biodiversité.
C’est d’autant plus important qu’on promet souvent aux villes, aux aménageurs et aux futurs habitants un « paysage comestible » ou « nourricier » en rêvant de vergers et de potagers puissants en cœur d’ilot qui produisent abondamment tout en créant de la biodiversité.
Derrière cela, l’intuition est que trop souvent le paysage est un axe secondaire du projet immobilier, un vide imposé par la réglementation, alors qu’il pourrait être un axe structurant, source d’identité.
Un paysage fort, c’est un sol fort !