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“La finance durable est un levier essentiel pour transformer la société”

Et si l’on faisait converger performance économique et développement durable ? Pour Michèle Pappalardo, présidente du comité du Label ISR, l’investissement socialement responsable est une clé pour mettre en mouvement les entreprises. Progrès environnementaux ou sociétaux, l’incitation financière entraîne un cercle vertueux très efficace.

Récompenser l’engagement ? Oui, répond Michèle Pappalardo, présidente du comité du Label ISR qui a récemment rejoint le Comité des Parties Prenantes d’OGIC. L’investissement Socialement Responsable (ISR) vise à concilier performance économique et impact social et environnemental en finançant les entreprises qui contribuent au développement durable dans tous les secteurs d’activité. Pionnière du développement durable, Michèle Pappalardo a la conviction que l’avenir appartient aux entreprises  qui s’engagent. 

Entretien avec Michèle Pappalardo

Au cours de votre carrière, comment avez-vous vu évoluer la prise en compte des enjeux du développement durable au niveau des entreprises, des politiques publiques et des citoyens ?

Michèle Pappalardo. Au début des années 90, l’expression « développement durable » a commencé à se populariser, mais… tout doucement ! Il faut savoir qu’à l’époque, il y avait beaucoup de résistance à accoler ces deux mots. Dans les politiques publiques, l’une des premières utilisations de cette expression date de la loi sur «l’ Aménagement durable » de 1995, initiée par Charles Pasqua et reprise par Dominique Voynet en 1999. Avec les années, l’expression s’est popularisée, mais souvent de manière interchangeable avec « environnement ». Aujourd’hui, la connaissance des 3 piliers du développement durable s’est répandue : social, économique et environnemental, mais il y a encore beaucoup de “faux sens”, particulièrement en France. 

La RSE a fait de grands progrès et le nombre d’entreprises qui s’y intéressent a nettement évolué. Cette évolution, je l’observe notamment en termes de financement, et c’est une bonne chose : la finance durable est la prochaine marche à franchir pour transformer la société ! La prise en compte de ces sujets par les financiers est un vrai moteur de mise en mouvement des entreprises.

Est-ce qu’il y a eu un point d’inflexion ?

Michèle Pappalardo. Le progrès s’est fait à des rythmes variables, mais je mettrais tout de même en avant une date sur le climat : la canicule de 2003. Du jour au lendemain, la situation est devenue tragiquement concrète. Ensuite vint la question  de la santé, très prégnante dans l’esprit des citoyens suite à des périodes d’intense pollution atmosphérique aussi bien chez nous qu’à l’étranger, puis est venu le sujet de la protection de la biodiversité avec l’intensification de la disparition des espèces. Ces sujets ne se sont pas chassés les uns les autres, mais sont venus enrichir une prise de conscience collective.

Pour  la finance, le point d’inflexion, ce sont les Accords de Paris et la COP21. Je le redis, cette dernière « marche » en date est nécessaire : sans l’implication de la finance, il n’y avait pas d’incitation financière à faire des actions RSE. Il manquait quelque chose et, souvent, les entreprises rechignaient à agir, car non seulement cela représentait  des coûts importants mais leurs banquiers ne les soutenaient pas, voire les freinaient. 

Maintenant, c’est plutôt l’inverse : ce sont les banques qui poussent les entreprises à s’engager en RSE !

Sans l’implication de la finance, il manquait quelque chose et, souvent, les entreprises rechignaient à agir, car leurs banquiers ne les soutenaient pas, voire les freinaient. Maintenant, c’est plutôt l’inverse : ce sont les banques qui poussent les entreprises à s’engager en RSE !

Depuis octobre 2021, vous êtes présidente du comité du label ISR : en quoi consiste cette démarche ? 

Le label existe justement depuis 2016… c’est-à-dire juste après la COP 21 de 2015 ! L’accord de l’époque stipulait que la finance devait dorénavant intégrer la dimension climat dans ses financements…

Mais le travail sur le label avait été engagé bien des années auparavant, et il ne portait pas que sur le climat : « ISR » signifie Investissement Socialement Responsable, et il porte vraiment sur les 3 piliers du développement durable dans la lignée de la RSE. Son but ? Permettre aux épargnants, ainsi qu’aux investisseurs professionnels, de distinguer les fonds d’investissement mettant en œuvre une méthodologie robuste d’investissement socialement responsable (ISR), aboutissant à des résultats mesurables et concrets.

Cette méthode repose d’une part sur les entreprises qui sont financées par les fonds : chacune d’elle doit choisir un système de notation ESG (engagements Environnementaux, Sociaux et de Gouvernance); d’autre part sur les sociétés de gestion qui doivent elles-mêmes indiquer s’engager, pour chaque fonds labellisés, sur un certain nombre de thèmes, qui sont très divers : limitation des émissions des gaz à effet de serre, protection de la biodiversité, diversité homme femme, rémunération des personnels, etc. Mais elles doivent aussi respecter un référentiel plus large qui précise les conditions dans lesquelles elles doivent rendre compte de ce qu’elles font et de leurs résultats. Ensuite, la démarche fait intervenir un certificateur qui s’assure du respect du référentiel ISR. En résumé, elles doivent enlever les 20% d’entreprises les moins bien notées en matière d’ESG dans le périmètre de leur fonds d’investissement mais aussi prendre des engagements sur les 3 piliers et expliquer comment elles pratiquent sur ces deux dimensions ! 

L’un des mécanismes essentiels de l’ISR, c’est qu’en tant que fonds d’investissement, vous prenez l’engagement de faire pression sur les entreprises sur lequel vous investissez pour qu’elles aillent dans le sens des engagements que vous avez pris.Il y a en effet un pilier du référentiel consacré à l’engagement actionnarial. C’est un cercle vertueux ! En 2016, nous étions au tout début de ces démarches et, même si nous trouvons aujourd’hui que le niveau d’exigence du label n’est pas très fort, il ne faut pas oublier que c’était le début de ce type d’outil et qu’on faisait porter l’effort, pour commencer, sur les exigences de process. Nous avons fait partie des pionniers dans ce domaine. Maintenant, d’autres labels se sont créés dans d’autres pays d’Europe et les démarches ESG ont progressé, nous sommes donc en train de travailler à rendre plus exigeant le référentiel ISR pour aller plus loin.

Certes, ce sont des démarches de reporting lourdes… c’est complexe ! Notre conviction, c’est que pour progresser de manière saine sur ces sujets sociétaux essentiels, et sortir des grandes déclarations d’intentions, il faut se fonder sur de la mesure et la vérification des performances.

Sans mesures chiffrées, pas d’action concrète.

Quelle est la différence avec l’investissement à impact ?

L’ISR ne se focalise pas seulement sur le climat: il concerne les 3 domaines environnemental, social et de gouvernance. Et en matière d’environnement, il s’adresse à tous les thèmes: climat, biodiversité, eau, déchets… À vrai dire, la logique de l’ISR permet d’entraîner des démarches vertueuses dans de nombreuses filières. Prenez la construction de voitures : vous pouvez travailler à réduire les émissions de gaz à effet de serre des véhicules, à limiter l’impact de vos procédés de construction, à améliorer l’égalité femme-homme dans vos équipes, à ce que les cadres soient rémunérés en fonction des résultats ESG… c’est tout ça l’ISR !

Notre conviction, c’est que pour progresser de manière saine sur ces sujets sociétaux essentiels, et sortir des grandes déclarations d’intentions, il faut se fonder sur de la mesure et la vérification des performances. Sans mesures chiffrées, pas d’action concrète.

Quels critères sont aujourd’hui prépondérants dans les stratégies d’investissement ?

De plus en plus d’épargnants et d’investisseurs souhaitent investir dans de la finance durable, c’est un fait. Mais ils refusent souvent d’arbitrer entre rendement et engagement… ils veulent les deux, et c’est possible ! Aujourd’hui, les fonds labellisés fonctionnent très souvent aussi bien – voire mieux – que les autres. C’est le sens de l’histoire : en intégrant les dimensions que nous défendons, la diversité, des rémunérations équitables, une vraie action environnementale… vous prenez moins de risques, et vous êtes plus rentable sur le long terme. 

C’est la dynamique qui était recherchée : quand le bénéfice pour soi converge avec le bénéfice pour la société ! 

 Comment faire de l’ISR en immobilier ?

En 2020, nous avons adapté le référentiel du label à l’immobilier. Finalement, c’est plus simple que dans d’autres secteurs car, dans l’immobilier, nous savons plutôt mieux comment mesurer et réduire les émissions de gaz à effet de serre ! Nous avons ainsi intégré les fonds immobiliers (SCPI et OPCI) et, dans ce dernier cas, distingué les fonds finançant la rénovation de bâti ancien pour atteindre de meilleures normes d’isolation et de performances énergétiques.

 Aussi de nombreux fonds immobiliers se font labelliser ISR. Cela présente des avantages à la fois :

  • Pour l’épargnant, particulier ou investisseur : vous avez l’assurance que le référentiel est appliqué à toutes les entreprises.
  • Pour les fonds d’investissement eux-mêmes : cela présente l’avantage d’avoir un guide pour savoir ce qu’ils doivent faire pour faire de la finance durable. De plus en plus, ils ont des investisseurs et des épargnants qui demandent ce type de démarche, donc ils ont aussi un produit à leur proposer.

 Si on regarde plus globalement, on constate que l’ensemble de cette démarche fait avancer les entreprises elles-mêmes : leurs investisseurs désormais leur demandent de les aider à démontrer que leurs fonds sont positifs pour chaque domaine ESG (le climat, la biodiversité, la diversité…). C’est un vrai vecteur de progrès pour l’ensemble des acteurs et, si j’ose dire : la boucle est bouclée ! 

La mécanique de l’ISR se met alors en marche avec beaucoup d’efficacité ! Nous le voyons d’autant plus qu’avec le temps, les uns et les autres se montrent de plus en plus critiques et exigeants : en particulier ils demandent  que les entreprises sachent vraiment démontrer leur efficacité, en particulier sur les sujets environnementaux… on entre dans des exercices complexes et qui ne sont possibles que si les outils de mesure, des entreprises comme des sociétés de gestion, sont fiables, précis et comparables. 

Tout cela fait faire de gros progrès aux entreprises ! Entre les obligations réglementaires, la pression de leurs financiers, les clients qui viennent leur demander de faire du développement durable, leur propre volonté de devenir “responsable”,  il y a une vraie dynamique que le label contribue à organiser et stimuler.

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Selon vous, à quels défis un promoteur comme OGIC est-il confronté et comment peut-il y faire face ?

Les promoteurs ont un rôle de pédagogie, et c’est important !

Je pense que si le citoyen n’est pas sensibilisé au développement durable dans son quotidien, nous ne progresserons pas. Un promoteur doit expliquer pourquoi il fait les choses, et pourquoi cela a de la valeur pour les citoyens. C’est aussi cela son rôle de « promotion » ! Les citoyens ont besoin de démonstration pratique et concrète. Quand on achète un lieu de vie, c’est un moment marquant… c’est important de savoir comment il a été construit et les précautions qui ont été prises. Cela montre que le développement durable, c’est concret !

Il faut montrer l’intérêt pour l’acheteur et l’investisseur, bien sûr, mais aussi pour l’intérêt général; pour le bien-être de l’occupant dans la vie quotidienne – mais aussi pour le bien-être de tous.

OGIC s’investit tout particulièrement sur ce sujet de la pédagogie – et à raison !

Quel est le rôle des promoteurs pour faire advenir la ville durable ?

Ceux qui construisent la ville, ce sont en grande partie les promoteurs. Ils ont un rôle majeur, c’est évident.

La première exigence, c’est de savoir s’adapter au contexte : il n’y a pas de modèle de ville durable ! Selon la culture, l’histoire, l’environnement, les villes doivent s’adapter et répondre  aux besoins de toutes les populations. C’est une des raisons pour lesquelles je trouve très intéressantes les initiatives d’architecture évolutive. La ville durable est une ville qui change, un impératif essentiel notamment face aux conséquences du dérèglement climatique : la ville doit être capable de s’adapter à ces évolutions, et de gagner en résilience face aux phénomènes extrêmes qui s’annoncent.

Ainsi, la deuxième exigence, c’est de penser loin ! La responsabilité des promoteurs consiste à savoir se projeter à 20 ou 30 ans pour faire les choix les plus durables. Si l’on ne fait pas les bons choix en termes de localisation, d’aménagement et de construction du projet, on va en supporter les conséquences pendant très longtemps et cela pénalisera la durabilité de la ville  dans les décennies futures. 

La troisième exigence, c’est de travailler ensemble : j’ai le sentiment que, sur ce point, il y a une prise de conscience du rôle du promoteur et de sa réflexion sur l’évolution de la ville. Tout l’écosystème de la ville (élus, promoteurs, constructeurs, gestionnaires de réseaux….) doit travailler ensemble pour relever les défis qui sont les nôtres.

Pourquoi avoir rejoint le Comité des parties prenantes d’OGIC, créé dans le cadre de la mise en œuvre de sa Raison d’être ? Quel est votre rôle ?

Je voulais voir d’un peu plus près ce que signifiait être un promoteur, contribuer à une démarche de développement durable et voir quelles sont les difficultés au quotidien. Pour le dire simplement : compléter mon expérience et aussi la partager – et aider un peu !