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« L’entreprise contributive est celle qui régénère »

Quel rôle les entreprises peuvent-elles jouer face aux enjeux environnementaux et sociétaux ? Pour Thibault Lamarque, membre du Comité des parties prenantes d’OGIC et fondateur et Président de Castalie, un nouveau paradigme s’est fait jour autour de la recherche de l’impact minimal. L’ère de la responsabilité sociétale des entreprises a notamment engendré un modèle d’entreprise dite contributive, dont le développement doit participer à l’émergence d’un monde meilleur. Un monde dans lequel la création de valeur ne se fait plus au détriment de la planète et où l’entreprise s’engage dans une démarche vertueuse pour répondre aux grands défis de notre temps. Sous peine de disparaître ?

Explorer de nouvelles approches, s’ouvrir à des expertises plurielles et éclairer nos pratiques pour mieux appréhender les défis d’aujourd’hui et de demain, tels sont les objectifs du comité des parties prenantes d’OGIC créé dans le cadre de la mise en œuvre de notre raison d’être. Cette interview donne la parole à l’un de ses membres.

L’entreprise a-t-elle le pouvoir de changer le monde ?

Thibault Lamarque. L’urgence climatique a fait évoluer les attentes des citoyens, et avec elles, le rôle dévolu aux entreprises. La course au profit, le développement coûte que coûte de l’activité sans prise en considération des externalités négatives et sans vision de long-terme, appartiennent à un modèle révolu. Aujourd’hui, les entreprises doivent apporter la preuve de leurs engagements environnementaux et sociétaux, et pas seulement pour se soumettre à des obligations réglementaires.

La crise sanitaire a aussi accéléré cette prise de conscience et l’a rendue collective. Les États, les entreprises, les citoyens, les associations… tous détiennent une partie de la solution pour changer les choses. Ça ne veut pas dire que les consommateurs sont tous devenus des « consom’acteurs », mais ils sont de plus en plus nombreux à plébisciter des entreprises qui réfléchissent à leurs impacts, proposent des alternatives et, ce faisant, contribuent à transformer leur secteur et la société. Je pense notamment à la marque C’est qui le patron qui, en impliquant les consommateurs dans le choix des produits, a réussi à hisser sa brique de lait en tête des ventes en France. Ou encore à l’application de notation des aliments Yuka, dont le succès a eu de l’impact sur l’industrie alimentaire. Avec ces deux exemples, on voit que même des petites entreprises ont le pouvoir de faire bouger les lignes.

Comment expliquez-vous cette attention croissante des entreprises à leurs impacts ?

En plus d’une prise de conscience plus aiguë de l’urgence climatique, on a vu se multiplier ces dernières années des fonds d’investissement qui soutiennent le développement d’activités plus vertueuses. Des petites start-up ont réalisé des levées de fonds record car beaucoup d’argent est aujourd’hui fléché vers l’impact. C’est significatif d’un changement de paradigme qui a notamment conduit, après l’ère de la responsabilité sociétale, à l’émergence des entreprises contributives.

Quelle est votre définition de l’entreprise contributive ?

Nous constatons collectivement une meilleure intégration du rôle social et environnemental des entreprises. De nos jours, il n’est tout simplement plus possible de faire du profit d’un côté en détruisant de l’autre. Une entreprise contributive cherche justement à limiter le plus possible ses impacts. Elle s’appuie sur de nouveaux modèles pour apporter des réponses à des enjeux de société. Pour moi, l’entreprise contributive est celle qui régénère et fait sienne, de manière radicale, une autre façon de produire de la valeur. Cela fait aussi une différence sur le marché de l’emploi. Défendre de vraies valeurs, avoir des engagements forts, proposer des alternatives qui ont du sens, tout cela contribue à l’attractivité des entreprises, en particulier auprès de la jeune génération.

Les consommateurs sont de plus en plus nombreux à plébisciter des entreprises qui réfléchissent à leurs impacts, proposent des alternatives et, ce faisant, contribuent à transformer la société.

Thibault Lamarque

Quelle est la particularité des entreprises « purpose natives » ?

Il existe plusieurs sortes d’entreprises contributives. Les « purpose native », comme Castalie, adoptent dès le départ un modèle de développement durable avec comme finalité d’avoir un impact positif. Toutes les entreprises ne pourront pas tenir ce rôle car cela doit faire partie intégrante de leur ADN. C’est très dur pour une entreprise de devenir contributive si elle n’a pas été conçue ainsi à l’origine. Par contre, toutes peuvent mieux faire, prendre des engagements plus forts et se transformer pour répondre aux enjeux de notre société. Je pense qu’on est à un moment charnière où les entreprises vont de toute façon devoir évoluer. Si elles ne le font pas d’elles-mêmes, les Etats les y contraindront tôt ou tard, ou bien elles disparaîtront.

Démarche sincère ou opportuniste, comment faire la différence ?

Si la finalité est la même, que l’activité d’une entreprise contribue à substituer à un produit ou un service néfaste une meilleure alternative, peu importe qu’elle soit sincère ou non dans ses intentions. En revanche, quand l’objectif affiché et le résultat ne concordent pas, c’est là que l’on parle de « purpose washing », quand une marque revendique un engagement qu’elle ne tient pas. Le purpose washing et le greenwashing sont plus répandus qu’on ne le pense, et seul le temps long permettra de faire la différence entre les entreprises réellement sincères.

La recherche de l’impact minimal a-t-elle une fin ?

La démarche d’une entreprise contributive est systémique. Elle touche le business model, le management et l’ensemble de la chaîne de production. Par exemple, notre activité chez Castalie offre une alternative au transport de l’eau entre une source et des lieux de consommation, parfois sur des milliers de kilomètres. On a renversé le modèle source/consommateur pour donner à chaque restaurateur, à chaque entreprise la possibilité de devenir sa propre source, de gérer son approvisionnement et son embouteillage sur place, en réduisant ainsi la pollution liée au transport. En parallèle, 60% de nos machines sont fabriquées en France, 40% en Italie et nous faisons assembler nos systèmes de filtration par 16 travailleurs en situation de handicap à Issy-les-Moulineaux. 

Nous avons reçu l’agrément ESUS (entreprise solidaire d’utilité sociale) et avons fait réaliser une analyse du cycle de vie de nos produits. Grâce à ce travail, on sait que notre impact carbone est 88% moins élevé que celui d’une bouteille d’eau en plastique. Et on ne va pas s’arrêter là. En tant qu’entreprise contributive, nous sommes engagés dans une démarche d’amélioration continue. Ce qui signifie que nous continuerons à nous poser la question « comment faire mieux ? ». C’est une course sans fin, mais c’est aussi ça qui nous motive.

Quel est l’impact du marché des bouteilles d’eau en plastique ?

Rien qu’en France, 16 milliards de bouteilles en plastique et 9 milliards de litres d’eau sont consommées chaque année. Or une large part n’est pas recyclée ce qui pose des problèmes écologiques majeurs, accentués quand on considère la consommation mondiale. Comment l’éviter ? Je suis moi-même un grand consommateur d’eau pétillante et cette question m’a préoccupé au point d’infléchir mon parcours professionnel. J’ai fait un mémoire de fin d’étude sur l’accès à l’eau au Maroc et travaillé pour plusieurs gros producteurs d’eau avant de rejoindre Alter Eco. C’est là que j’ai rencontré Tristan Lecomte, l’un des pionniers du bio et de l’équitable en France. Puis j’ai lancé avec Castalie la commercialisation de fontaines à eau micro-filtrée, plate et gazeuse, d’abord auprès des restaurateurs puis des entreprises afin de réduire l’impact écologique de ce marché. Depuis la création, notre activité a permis d’éviter 120 millions de bouteilles en plastique, et nous visons le milliard dans cinq ans. Ce qui passera par la conquête de nouveaux marchés. 

Pourquoi avoir rejoint le Comité des parties prenantes d’OGIC ?

Je pense que l’immobilier est un des secteurs qui a le plus d’impact sur l’environnement et qu’une des solutions pour le réduire est de mettre en place une démarche RSE, comme l’a fait OGIC. J’ai accepté de rejoindre ce comité pour partager mon expérience et aider le groupe à aller encore plus loin dans la formulation de ses ambitions et la mise en œuvre des engagements exprimés dans sa raison d’être. Chez Castalie, nous avons aussi un comité des parties prenantes composé d’acteurs très engagés sur les enjeux RSE, de personnalités, de collaborateurs, de clients et de fournisseurs. Le fait de réunir des expertises diverses crée une belle dynamique qui nous pousse à renouveler notre approche, à réfléchir à notre activité et à nous dépasser. C’est extrêmement positif et je suis heureux d’y contribuer à mon tour chez OGIC.