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« Avec Allure, nous avons cherché à être innovants jusque dans les usages »

Au-delà de sa singulière forme triangulaire, souvent assimilée à la proue d’un navire, le programme Allure, inauguré en 2018, se distingue par sa volonté de redonner toute sa place à l’humain, dans son environnement, et ce du choix du mode de construction à l’agencement des espaces intérieurs. Explications par Julien Rousseau (Fresh Architectures) et Ingrid Taillandier (Itar architectures), les deux architectes du projet.

À quelle(s) problématique(s) répond le programme Allure ?

Julien Rousseau (Fresh Architectures)

L’exigence du programme Allure était de concevoir un bâtiment qui puisse s’élever de toute sa hauteur et faire de sa densité un atout. Il s’agissait également de s’intégrer dans la mixité programmatique de ce nouveau quartier Clichy-Batignolles, d’imaginer Allure entre des bureaux, des commerces et des logements de différentes typologies.

Un autre défi, purement architectural, visait à maximiser les espaces pour le confort et le bien-être des usagers.

Deux autres aspects fondamentaux du programme : l’aspect environnemental qui a été dès le début une préoccupation majeure du groupement ; et l’aspect de son développement collaboratif, pensé en quatuor avec les maîtres d’ouvrage. En effet, il fut particulièrement galvanisant et instructif d’être dans une logique d’élaboration collective pour écrire le projet aux regards croisés de nos voisins, promoteurs et investisseurs, confrontés ensemble à un « tiers parti » associant représentants de la ville, aménageur et maîtrise d’œuvre urbaine.

Ingrid Taillandier (Itar Architectures)

 Allure est un programme immobilier complexe ! Il se compose de trois volumétries différentes : une tour de quinze étages, un immeuble de sept étages et enfin neuf maisons de ville de plein pied bâties sur une parcelle triangulaire.

Cette forme triangulaire a représenté un défi : l’enjeu majeur, en tant qu’architecte, a été de réussir à conserver une surface de plancher importante, avec des exigences d’appartement et d’exposition élevées, tout en prenant en compte certaines contraintes liées à cette forme originale.

Il était en effet indispensable pour nous que ce programme puisse offrir des logements généreux aussi bien dans les surfaces que dans la qualité d’exposition. L’une de nos plus belles réussites a d’ailleurs été de concevoir des balcons en porte-à-faux de 12m2 permettant à tous les habitants d’avoir un accès sur l’extérieur et notamment sur le parc Batignolles.

Pourquoi privilégier un mode de construction en préfabriqué ?

Ingrid Taillandier (Itar Architectures)

Le mode de construction fait partie des éléments les plus importants d’un projet immobilier, au même titre que de concevoir des espaces partagés et de favoriser une mixité fonctionnelle et sociale. Il peut considérablement influer sur le déroulement du projet, aussi bien sur le temps des travaux, que sur le budget ou la qualité des finitions.

Choisir un mode de construction en préfabriqué, qui consiste à construire et équiper certains modules d’un bâtiment en atelier pour ensuite les assembler sur un chantier, c’est offrir de meilleures conditions de travail aux ouvriers qui seront, de fait, toujours plus attentifs aux détails.

Si de nombreux acteurs du secteur sont encore frileux à l’idée de choisir ce mode de construction, c’est généralement à cause du coût, qui paraît à première vue plus élevé qu’une construction dite traditionnelle. Pourtant, c’est très souvent l’inverse, car on se rend compte plus tard que l’on rattrape cet écart en temps et en nuisance sur le chantier. Pour le programme Allure, on a par exemple été le premier bâtiment de toute la ZAC Clichy-Batignolles à être livré et je suis persuadée que c’est grâce à la construction en préfabriqué.

Julien Rousseau (Fresh Architectures)

Le travail de l’architecte se réinterroge aujourd’hui sur ses fondamentaux.

Deux révolutions majeures se superposent : la prise de conscience environnementale et sociale d’une part. Environnementale avec la construction de programmes durables et sociale par l’acceptation des nouveaux modes de vie, espaces partagés et modulables.

Et d’autre part, la révolution technologique qui rend possible aujourd’hui la simplification et l’amélioration des process. Une technologie qui nous permet de reprendre à notre compte des modes de construction ancestraux, d’utiliser des matériaux biosourcés ou réutilisés et des modes de mise en œuvre montables et démontables.

La préfabrication est à mi-chemin entre ces deux révolutions et permet de construire mieux, plus vite, avec moins de nuisances, plus d’efficience thermique et acoustique et aussi surprenant que ça puisse être : moins cher ! Je tiens d’ailleurs à remercier pour cela la société Jousselin qui a parfaitement relevé le défi avec ses structures Inov’mur : un procédé industriel semi-automatisé de préfabrication de mur à coffrage intégré isolant.

Pourquoi faire le choix d’intégrer des espaces partagés ?

Julien Rousseau (Fresh Architectures)

 Dans des pays comme la Suisse, la Suède, les États-Unis, l’intégration d’espaces partagés au sein de bâtiments collectifs est relativement fréquente. En France, si ce type d’aménagement est plus rare aujourd’hui, ce n’était pas le cas dans les années 60 : les bâtiments comportaient alors des espaces communs nettement plus généreux, avec des halls importants ou encore une gestion communautaire organisée, pour les ordures par exemple. Mais, par souci de rentabilité, ces espaces ont petit à petit rétréci et laissé place à des appartements plus petits en surface et en taille…

Je crois vraiment que les choses sont en train de changer. On se rend bien compte aujourd’hui, dans les villes contemporaines, que si on ne construit pas des bâtiments qui permettent de rassembler les gens, et ce grâce à des espaces partagés, on perd quelque chose de fondamental : il est nécessaire de réapprendre à considérer les espaces communs non plus comme une perte mais comme un atout !

Ingrid Taillandier (Itar Architectures)

 Le « vivre-ensemble » a été dès le début du projet un élément structurant dans notre réponse. La Kitchen-club faisait d’ailleurs partie de nos intentions de départ et elle avait été présentée lors du concours qui nous opposait à d’autres architectes. Autour de cette idée se sont très vite greffés le studio partagé, la buanderie et la conciergerie qui permet une excellente gestion de l’immeuble.

Le pari est-il réussi ?

Julien Rousseau (Fresh Architectures)

Le studio partagé est en permanence loué, la terrasse affiche complet… Les habitants utilisent ces espaces comme des pièces en plus, ils y accueillent leur famille pour quelques jours, des amis autour d’un diner.

Ingrid Taillandier (Itar Architectures)

Psychologiquement, je pense que ce qui est agréable pour eux, c’est de savoir qu’ils ne sont pas simplement cantonnés à leur surface de logement. Le pari est plus que réussi !