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Faire rimer lutte contre le gaspillage alimentaire, ville solidaire et économie circulaire : c’est possible !

Comment favoriser une alimentation solidaire, saine et durable sur un territoire ? Dans un contexte de lutte contre le gaspillage alimentaire, l’association APPUI a créé la plateforme Au Bon Transit à Saint-Denis et Plaine Commune. Elle a pour but de capter les flux de denrées alimentaires en surplus risquant d’être jetés pour les redistribuer à des structures d’aides alimentaires ou des acteurs économiques de la transformation anti-gaspillage de la sphère ESS. Une initiative enthousiasmante pour générer des coopérations autour de la logistique alimentaire de proximité. Rencontre avec son fondateur, Benjamin Masure.

Raconter la ville idéale à travers le regard d’acteurs qui contribuent déjà à la réinventer, c’est l’objet de nos entretiens « Nature de Ville ». Biodiversité, urbanisme, mixité : nous donnons la parole à celles et ceux qui pensent ou conçoivent la ville de demain dès aujourd’hui.

« Soutenir le déploiement d’une solution de circuit court alimentaire prend tout son sens dans un tissu urbain dense qui requiert désormais des services de plus en plus décarbonés » expliquait Virginia Bernoux, Présidente du directoire d’OGIC lors de la signature d’une convention de mécénat entre OGIC et le Fonds de dotation Ambition Saint-Denis pour soutenir pour une durée de deux ans le déploiement de la plateforme alimentaire « Au Bon Transit » développée par l’association APPUI sur le territoire de Saint-Denis et de Plaine Commune. Par ce mécénat, OGIC réaffirme son engagement de contribuer à la cohésion et au développement des territoires, pour des villes plus durables et solidaires

Dans quel contexte est née la plateforme Au Bon Transit ?

Nous sommes toujours intervenus sur les champs de l’alimentation et de l’économie sociale et solidaire en lançant dès 2005 des restaurants sociaux dans des foyers de travailleurs migrants sous forme de structures d’insertion qui faisaient de la nourriture bon marché. En 2019 juste avant le confinement, la mairie de Saint-Denis nous a confié une mission autour du développement d’épiceries solidaires, notamment pour densifier le maillage d’acteurs de solidarité alimentaire de très grande proximité – et de lutte contre le gaspillage alimentaire.

Malheureusement avec le confinement, la démarche de structuration de ces projets a pris du plomb dans l’aile, mais il en est ressorti une conviction : le fort engagement associatif sur le territoire de la Plaine Commune a besoin d’un acteur intermédiaire pour structurer les dons, mieux répartir l’offre et la demande – et massifier le tout ! Comme une banque alimentaire mais territorialisée, connectée à des acteurs locaux en hyper proximité et capable d’accélérer l’ensemble d’un écosystème en train de se constituer.

Comme nous étions d’ores et déjà au cœur de cet écosystème, nous avons décidé de nous lancer à travers la plateforme Au Bon Transit.

Combien d’acteurs associatifs sont-ils parties prenantes de l’initiative ?

À ce jour, 8 associations sont connectées à la plateforme dont 6 qui s’approvisionnent grâce à nous toutes les semaines et 2 autres en devenir. Au départ, notre but était de collecter et de stocker en un point unique des invendus issus d’un grand nombre de sites, en partenariat avec plusieurs acteurs de la solidarité alimentaire (épiceries solidaires, distributions associatives…) de Plaine Commune. 

À ce titre, notre objectif est soit de capter du don, soit d’acheter à bon prix de la nourriture de qualité, et c’est sur ce second point que nous nous différencions d’autres acteurs de solidarité alimentaire : c’est nous qui choisissons ce que nous voulons redistribuer à nos usagers ! Exit les produits hyper transformés, suremballés, tout cela doit rester marginal dans notre lieu de stockage. Notre priorité, c’est la qualité.

Ensuite, nous travaillons avec des intermédiaires qui sont en lien direct avec des populations en situation de précarité: des épiceries solidaires qui viennent s’approvisionner chez nous. Nous sommes convaincus que le changement du rapport à l’alimentation et à sa qualité se fait par l’expérience, et non en donnant des leçons aux gens sur ce qu’il faut manger ou non. C’est parce que nous allons proposer des produits bons pour la santé et délicieux, parce que nous allons les faire découvrir que nous créerons de l’adhésion à terme. De la même manière, c’est en faisant se rencontrer les producteurs et les consommateurs qu’on pourra les convertir aux circuits courts. 

Ce sont de petites actions qui ne touchent pas un million de personnes en fait, mais nous pensons que les changements de mentalité les plus profonds se déroulent à cette échelle.

Concrètement, comment fonctionne cette plateforme ?

Au début de la chaîne, nous nous approvisionnons auprès de nos agriculteurs partenaires en fonction des opportunités. Ce sont eux qui nous proposent des denrées et nous les livrent. Tout autour de la Seine-Saint-Denis, dans le Val-d’Oise ou dans l’Oise, le plus possible à moins de 30 minutes, il y a beaucoup de maraîchers et d’acteurs avec lesquels nous pouvons nouer des partenariats. Actuellement, nous travaillons avec deux agriculteurs qui nous soutiennent et proposent une grille tarifaire dédiée à nos publics.

Souvent, nous achetons des produits qui sont potentiellement en surplus ou déclassés. Quand les agriculteurs nous font un prix sur les fruits et légumes, cela relève fréquemment d’un excédent en termes de volume. Le mieux, c’est de pouvoir obtenir des produits d’une manière intelligente, avec des partenaires capables d’estimer le surplus avant même que les produits n’aillent s’user sur les étals de supermarché : collecter et valoriser des produits frais !

À cela s’ajoute un acteur associatif qui va chercher certains produits auprès de la grande distribution. Toutes nos commandes, nous les faisons en fonction des besoins des associations qui s’approvisionnent chez nous et de la manière dont elles organisent leurs distributions : aujourd’hui, nous avons 6 épiceries qui sont livrées une fois par semaine… et bientôt 8.

Pour la livraison, hors de questions de faire se déplacer des camions ou des voitures… Tous les mardis et les jeudis, nous faisons livrer les associations à vélo par la Régie de quartier de Stains et Saint-Denis, une exigence que nous avons pour contribuer à décarboner les circuits d’approvisionnement alimentaire. Cela montre que la lutte contre le gaspillage alimentaire est une des clés d’une ville plus durable.

En quoi la plateforme s’inscrit-elle dans une logique d’économie circulaire ?

 Le fonctionnement de notre plateforme vise véritablement à réduire le gaspillage alimentaire en étant agile pour capter les surplus et les invendus, et leur trouver rapidement des bénéficiaires.

Là où nous allons plus loin, c’est dans notre travail avec des acteurs de la valorisation d’aliments abîmés consommables. Quand les produits ont vieilli ou qu’ils sont en trop grande quantité pour être valorisés à temps, et bien nous travaillons avec les acteurs qui savent les transformer :

  •   Dans un premier temps, avec ceux qui peuvent en faire un produit de type confiture ou le mettre dans des plats, dans des recettes. Je vous donne l’exemple de Re-belle, des confiturières anti-gaspi, une structure d’insertion par l’activité économique qui salarie exclusivement des femmes qui récupèrent des fruits abimés et qui en font des pots de confitures qui sont principalement vendus chez Monoprix et en boutique bio. Nous les fournissons très régulièrement et cela permet d’éviter tout gaspillage !
  •   Dans un second temps, quand vraiment ça n’est pas possible que les produits sont trop abîmés, nous les confions alors à des acteurs qui travaillent les déchets alimentaires pour en faire du compost ou du biogaz, comme Moulinot ou les Alchimistes.

 Le dernier point, c’est le choix des approvisionnements : obtenir les produits les moins emballés possibles. Notre devise, c’est que le meilleur déchet, c’est celui qu’on ne produit pas – et l’on s’y tient au maximum.

Justement, vous travaillez avec l’association Carton Plein qui est présente sur le site ?

Carton Plein, accompagne la Régie de quartier de Saint-Denis pour mettre en œuvre une activité d’insertion qui revalorise du carton sur le marché de Saint-Denis, tout à côté de nos locaux. Ils vont chercher des cagettes et des cartons en fin de marché sur le marché de Saint-Denis, qui habituellement finissent à la poubelle.

Ensuite, ils valorisent et récupèrent ces cartons : s’ils ne sont pas trop abîmés, ils sont nettoyés puis revendus à des gens pour des déménagements. Ceux qui sont trop abîmés passent dans la filière de revalorisation classique.

Comment l’association APPUI travaille-t-elle avec des entreprises mécènes comme OGIC ?

Ce soutien est capital pour nous parce que notre ambition est double : répondre à la précarité alimentaire, d’une part, mais aussi faire de l’alimentation solidaire et durable.

Sur ce deuxième point, nous rencontrons davantage de difficultés : historiquement, ce qui relève de la solidarité alimentaire de proximité en milieu urbain dense consiste principalement à récupérer des denrées auprès de la grande distribution… et vous prenez ce qu’on vous donne, y compris des aliments mauvais pour la santé. Mais nous, nous souhaitons pouvoir choisir ce que l’on distribue à ces populations précaires pour leur donner de la qualité à tout niveau, à la fois solidaire et durable. Pour nous, ce n’est pas juste récupérer les invendus qui compte mais de bien nourrir les gens ! Pour cela, personne ne nous finance directement car cela n’est pas considéré comme une priorité de financement à ce jour, et c’est la raison pour laquelle nous avons donc besoin d’entreprises pour nous soutenir.

Nous voulons que notre plateforme ait un impact positif sur la santé mais aussi sur les pratiques durables de notre écosystème !

À quels enjeux locaux répond cette initiative ?

Nous voulons créer une vraie coopération. Réussir à réunir dans un même espace et une même dynamique, un maximum d’acteurs qui peuvent contribuer à des causes communes : la solidarité alimentaire et la transition écologique.

Dans notre lieu, nous avons par exemple plusieurs structures d’insertion comme Carton Plein et la Régie de quartier qui emploient des personnes qui étaient à la rue ou en très grande précarité sociale. Sur cet enjeu de solidarité et d’emploi, nous avons aussi un partenariat avec une autre structure d’insertion, Taf et Maffé, Taf comme le travail, plus Maffé pour la recette du plat traditionnel d’Afrique de l’Ouest. Les 50 salariés en insertion des 2 restaurants sociaux bénéficient de paniers alimentaires à très bas prix. Quand vous recevez cela chaque semaine, cela a un impact budgétaire sur la vie de travailleurs.ses pauvres – et leur permet de se sécuriser.

Sur la coopération, nous travaillons avec des acteurs de plus grande taille comme les Restos du Cœur aussi, qui ont une force de frappe que nous n’avons pas et une puissante armée logistique. Nous entrons avec eux dans une logique d’entraide sur notre territoire : on s’appuie sur le travail des autres, et ils peuvent à leur tour s’appuyer sur nous.

Notre plateforme est vraiment là pour créer ces imbrications et faire se connecter offres et demandes y compris entre associations ! 

En quoi cette initiative contribue-t-elle à une transformation du système alimentaire à l’échelle territoriale ?

 L’alimentation a tellement d’impact… et sur tant de choses.

Quand on regarde le circuit de l’aliment, de sa production à son transport, jusqu’à sa transformation en déchet, il y a tellement de moyens de s’améliorer – et l’un des points que l’on oublie souvent, c’est la création de lien et la pédagogie sur le bien manger : l’un des enjeux est de rapprocher la personne qui produit et celle qui va consommer, et nous comptons multiplier les rencontres, créer des ateliers et même organiser des visites des fermes. À terme, nous souhaitons organiser des ateliers avec des nutritionnistes pour soutenir le partage de connaissances avec les populations en précarité alimentaire.

Un autre levier de la transition alimentaire est de massifier la demande, nous le faisons à l’échelle des associations avec lesquelles nous travaillons – mais aussi des individus : nous travaillons aussi avec l’association Vrac, un réseau national de groupement d’achats citoyen pour commander des produits de qualité. Pour des citoyens qui ont envie d’acheter plus qualitatif.

Quels sont les grands défis de la transition alimentaire aujourd’hui et comment est-ce qu’on peut les relever ? 

Je suis convaincu que les grands défis de la transition alimentaire seront mieux résolus par la multiplication d’initiatives locales que par la grande distribution. Les solutions de la transition se trouvent dans les territoires, lorsque l’on crée des coopérations, des écosystèmes où les gens se connaissent, interagissent et se font confiance. À cette échelle, vous pouvez intervenir à la fois sur la qualité et l’accessibilité d’approvisionnement, et non dans d’immenses logiques de flux difficiles à transformer en soi. 

La solution viendra de relations de proximité, bien structurées, bien organisées et c’est la raison pour laquelle nous proposons cette plateforme territorialisée : nous connaissons les acteurs de terrain, ils nous connaissent et de cette manière, nous faisons bouger les choses à des échelles humaines !