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« Avec l’archéologie préventive, l’aménagement d’aujourd’hui nous en apprend davantage sur l’aménagement d’hier »

Comment concilier aménagement du territoire et préservation du patrimoine ? Pour Dominique Garcia, archéologue et président de l'Inrap, l’archéologie préventive dessine un cercle vertueux tant pour enrichir notre connaissance du passé que pour écrire l’avenir de nos villes. Rencontre.

Raconter la ville idéale à travers le regard d’acteurs qui contribuent déjà à la réinventer, c’est l’objet de nos entretiens « Nature de Ville ». Biodiversité, urbanisme, mixité : nous donnons la parole à celles et ceux qui pensent ou conçoivent la ville de demain dès aujourd’hui.

Pouvez-vous nous rappeler rapidement les missions et le périmètre d’intervention de cet institut ?

Dominique Garcia. L’INRAP, c’est l’Institut national de recherche d’archéologie préventive. Créé il y a 20 ans, c’est un établissement public administratif avec 2200 collaborateurs présents dans l’hexagone et dans les outremers, 8 directions régionales et une cinquantaine de centres archéologiques implantés dans tout le pays au plus près de l’aménagement du territoire. Notre mission est de sauver le patrimoine qui risque d’être mis en danger par l’aménagement – et donc de concilier deux actions fortes de l’État : l’aménagement du territoire d’un côté et la préservation du patrimoine de l’autre.

Comment l’archéologie préventive s’intègre-t-elle aux travaux d’urbanisme et de renouveau des villes ?

Quand il y a un projet d’aménagement, les archéologues interviennent, recueillent les informations, et ensuite le terrain est laissé libre à l’aménagement. Il y a plusieurs étapes :

  • La découverte des sites, ce qui passe par un diagnostic pour les repérer !
  • Ensuite s’il y a un site qui s’avère intéressant, et si la DRAC le prescrit, nous pouvons intervenir afin de réaliser une fouille archéologique, une phase plus longue que la précédente.
  • Et ensuite, nous avons une mission de recherche où le fruit des fouilles archéologiques est partagé avec les acteurs du CNRS, de l’Université, des collectivités, le ministère de la Culture. L’archéologie ne sert que si les résultats sont partagés !
  • Et une quatrième et dernière étape qui est la valorisation culturelle, un vrai point fort de l’INRAP : toutes les recherches archéologiques sont valorisées sur le territoire lui-même, ou ensuite sous forme d’expositions ou de conférences, de plaquettes, de publications. Laisser une trace de ce passé qui a été effacé, voilà un point essentiel de notre démarche !

Pourquoi est-ce si important ?

Nous devons concilier aménagement et préservation.

Dans certains pays où le patrimoine est sacro-saint, il est impossible de construire aux endroits où il y a des vestiges archéologiques… ce qui limite d’autant plus les endroits où l’aménagement est possible ! Prenons l’exemple de Rome : s’il n’y a que deux lignes de métro alors qu’il y en a 14 à Paris, ce n’est pas parce que les Romains ne savent pas construire des métros, c’est parce qu’ils ne souhaitent pas détruire des vestiges. En France, nous avons décidé de ne pas sanctuariser tous les sites, mais de se dire que l’aménagement peut se mettre en place à condition qu’il y ait, au préalable, une fouille archéologique. C’est ce qui a été décidé par la loi sur l’archéologie préventive de 2001.

L’originalité de l’INRAP est d’intervenir en amont des travaux d’aménagement, pour ensuite laisser le terrain libre à l’aménagement en tant que tel. La société dans son ensemble en sort gagnante, autant parce que nous obtenons de précieuses informations sur les vestiges archéologiques, mais aussi parce que l’aménagement peut se faire au bénéfice de tous.

Nous évitons la casse des vestiges… mais aussi le blocage des terrains !

Quel serait le risque finalement de ne pas le faire, de méconnaitre l’histoire de nos villes ?

Nous faisons collectivement face à un vrai défi pour trouver de nouveaux terrains à construire, sans pour autant artificialiser les sols. De là découle l’idée de réaménager les centres-bourgs, donc de construire la ville sur la ville où se trouvent, tout naturellement, des vestiges anciens. Et là, si nous ne pouvons ni construire en dehors des villes, ni à l’intérieur, nous sommes tous, aménageurs, citoyens et archéologues, bloqués !

L’archéologie préventive permet d’écrire notre histoire au fur et à mesure de l’aménagement, autrement dit : de la préserver tout en écrivant la suite.

Sur quels critères un chantier de fouille est-il initié ou non ? Combien de temps dure-t-il en moyenne ?

Chaque année en France, environ 700 kilomètres carrés sont aménagés : routes, projets immobiliers, carrières, etc. Sur les 700 kilomètres carrés, seulement 20 % mérite un diagnostic ! En réalité, 80 % du territoire n’entend pas parler de fouilles archéologiques. Ensuite, dans ces 20%, seul 5 % fait l’objet d’une fouille. Ce sont des chiffres qui montrent combien notre système fait preuve de mesure : nous ciblons les opérations avec précision, notamment lorsque les découvertes peuvent nous renseigner sur le mode de vie des populations de la préhistoire jusqu’à nos jours.

Le diagnostic est établi bien en amont. Bien souvent, quand les archéologues ont fini de fouiller, l’aménagement ne se produit que plusieurs semaines, voire plusieurs mois plus tard. Il est donc rare que ce soit un motif de freinage ou d’arrêt des travaux. Pour les fouilles, elles sont de durée et d’importance très variables, qu’ils s’agissent de tombes du Moyen-âge qui peuvent être fouillées en quelques jours ou, si l’on s’imagine en centre-ville sur un site préhistorique avec une nécropole très importante, la fouille peut durer plusieurs semaines, voire plusieurs mois.

Mais si le site est d’importance, nous élargissons les équipes et le matériel afin de comprimer au maximum la durée ! C’est notre force : nous sommes nombreux et très bien implantés sur le territoire et cela nous permet d’être agiles.

L’Inrap et le groupe OGIC ont conclu en juin 2021 une convention-cadre d’une durée de trois ans : comment ce partenariat contribue-t-il à enrichir la connaissance de l’histoire des territoires ?

Le partenariat est là pour s’informer, se parler, échanger ! La loi sur l’archéologie préventive est relativement récente, et nous apprenons à mieux communiquer et travailler ensemble afin de ne pas faire « subir » l’opération archéologique comme une simple obligation légale, mais de l’organiser. Dans certains cas, nous arrivons à travailler par zone sur un chantier, nous commençons dans un secteur parce qu’il s’agira du premier construit. Ce genre de méthode découle d’un dialogue avec l’aménageur.

Après la fouille vient le temps de la communication, une opportunité de mieux connaître le passé du secteur, de partager un moment d’échange avec les riverains du quartier et les habitants de la ville, un vrai levier d’acceptabilité du projet – et du chantier. L’archéologie est une discipline qui fait rêver petits et grands, et les aménageurs peuvent montrer qu’ils y contribuent eux aussi. Cela peut découler sur de véritables expositions comme nous allons le faire avec OGIC !

Quand ce n’est pas possible de le faire immédiatement, nous pouvons le faire à l’occasion des journées européennes de l’archéologie, dont OGIC est d’ailleurs mécène.

Quels chantiers de fouilles ont été menés pour OGIC ? Ont-ils donné lieu à de nombreuses découvertes ?

Avec OGIC, j’en citerai deux.

Le premier, c’est la découverte d’une double conduite en bois de l’aqueduc romain de l’Yzeron à Lyon, un ouvrage hydraulique qui revêt un caractère exceptionnel car un tel dispositif n’avait encore jamais été observé sur les quatre grands aqueducs romains lyonnais. Quand on pense aux aqueducs, c’est la pierre qui vient en tête… mais il y avait également des architectures de bois, ce qui est beaucoup plus rare. Cette fouille nous a permis de livrer des vestiges en bois de plusieurs mètres de long qui étaient des canalisations permettant d’alimenter la ville de Lyon.

La seconde provient d’une opération menée à Annecy, où nous avons découvert un quartier de la ville antique avec une importante nécropole. Ces fouilles ont livré les restes de sépultures qui ont été étudiées, qui ont permis des analyses ADN – mais qui aussi permis de retrouver du mobilier ainsi que des objets, et d’approcher de près la vie quotidienne de l’époque.

Des cas parfaits pour monter combien l’aménagement d’aujourd’hui permet d’en apprendre davantage sur l’aménagement d’hier ! Tout en construisant une nouvelle richesse et de nouveaux bâtiments, nous retrouvons des objets, des sites et une histoire que l’on va pouvoir inscrire dans une histoire régionale.

Quel est votre regard sur l’archéologie préventive et son apport dans la connaissance des territoires – et à leur aménagement ?

Contrairement à ce que l’on peut penser, il y a des points de rapprochement évidents entre archéologues et aménageurs, à la fois d’un point de vue technique sur les fouilles, que sur ce que nous trouvons sous la terre, nous les archéologues : des routes, des habitations, des infrastructures… en somme, le métier de ceux qui créent la ville !

Je trouve intéressant de montrer que les aménagements d’aujourd’hui viennent prendre place dans une histoire, où nous ancêtres avaient déjà pensés l’aménagement de l’espace. Par exemple, nous parlons beaucoup aujourd’hui des matériaux biosourcés, le retour à la brique, à la terre crue, au bois, etc. et bien l’archéologie retrouve ce type de matériau, et permet d’en voir l’inscription dans le paysage, de les rendre plus acceptables, de montrer qu’il n’y a pas qu’un mode d’architecture… et que nos ancêtres prenaient en compte des données climatiques !

Justement, est-ce que cette archéologie nous apprend quelque chose sur l’évolution du climat, sur l’adaptation de la ville à ces conditions climatiques ?

L’archéologie nous montre où se trouvait l’habitat, pourquoi il était implanté là et comment il avait été aménagé. Les enseignements du passé se trouvent dans ces enregistrements des éléments climatiques, des matériaux, des lieux d’implantation… et nous pouvons apprendre ! D’autant plus lorsque nous construisons la ville sur la ville, parce que cela montre que certains lieux d’habitat sont plus propices que d’autres.

J’ajouterai que l’archéologue découvre aussi des pollens ou des charbons de bois, par exemple, qui permettent de retracer l’évolution du climat, et qui nous aident à mettre en lumière la manière dont les gens se sont adaptés aux changements climatiques dans le passé. Une leçon pour les générations futures.